L’homme à abattre

Si je ne me suis pas exprimé plus tôt à propos de l'accident de Pierre Palmade, c’est pour ne pas faire ressortir la colère et l'indignation que j’éprouvais au moment des faits. Non vis à vis de l'humoriste mais envers les médias et la haine démesurée de la populace à son égard. Les news et la réprobation massive des internautes laissent à penser que Pierre Palmade a commis un crime épouvantable, un acte odieux qui mériterait la peine de mort pour certains nostalgiques.

Je ne vais pas revenir sur cet accident tant les médias l'ont décortiqué et ressassé avec force détails et de manière morbide. Les informations relatives à la vie privée des victimes ont été obtenues sans vergogne. Ce sont des révélations confidentielles qui ont été déballées sur la place publique sans le moindre scrupule, histoire de donner encore et toujours dans le sensationnel. Jour après jour, j’ai assisté à un véritable lynchage médiatique, les journalistes se sont appliqués à dresser un portrait de Pierre Palmade digne de Landru ou de Gilles de Rais. Ils ont fait part d'un semblant de compassion pour une famille meurtrie dont les blessures n'ont servi qu'à susciter l'apitoiement du lecteur et du téléspectateur en amplifiant à chaque fois davantage la responsabilité de Palmade dépeint comme un monstre sanguinaire. Or placer une famille durement éprouvée sous les projecteurs, c’est non seulement indécent mais c’est un manque de respect pour tant d’autres cas semblables qui sont restés dans l’anonymat car ils n’ont pas eu la (mal)chance d’être victimes d’une célébrité.

Je ne prends nullement la défense de Pierre Palmade, il s'est conduit, ou plutôt, il a conduit comme un inconscient irresponsable mais il s'agissait d'un accident. Un accident et non un crime avec préméditation. Sur la départementale 372, Palmade s'est déporté sur l'autre voie comme le ferait quelqu'un qui s'endort au volant (ça arrive très fréquemment) ou qui quitte la route des yeux, le temps de ramasser son téléphone. S'il l'a fait sciemment, il s'agissait d'une terrible conséquence de la dépendance à la drogue dont les effets sont tels qu'on perd la notion de la réalité. C'est comme sauter du douzième étage en s'imaginant qu'on va s'envoler et que, par malheur, il y a une poussette en dessous.

Pierre Palmade a commis un carnage, il est entièrement responsable d'un accident de la route épouvantable, OK, on est tous d'accord, mais est-ce un cas isolé ? Non. Est-ce la seule fois où un automobiliste percute une voiture dans les mêmes circonstances ? Non. Y a-t-il eu des collisions similaires dont le responsable était sous l'emprise de stupéfiants ? Oui. Mais on n'en a jamais entendu parler. Tout le monde s'en fout, des responsables comme des victimes. Ou ça ne fait pas plus de trois lignes dans les brèves. Alors pourquoi cet acharnement dans le cas présent ? Parce qu'il s'agit d'un grave accident dont celui qui en est à l’origine est une star. Et ce qui devait être traité comme un triste mais banal fait divers, semblable à d’autres accidents du même ordre, est devenu est marronnier aussi récurrent que l’affaire Grégory. Quel beau nonosse à ronger pour les charognards médiatiques ! Quelle opportunité de pouvoir trainer une célébrité dans la boue jusqu'à en faire l'homme à abattre, l'ennemi public numéro un, comme ce fut le cas pour Michael Jackson, Roman Polanski, Dominique Strauss-Kahn ou Daniel Cohn-Bendit. Dans chacun de ces cas, la presse s'est compromise dans le graveleux, trop heureuse de crier au pédophile et au violeur avec une complaisance répugnante, jamais de simples petits mots n'ont autant catalysé l'intérêt du peuple, comme ce fut le cas jadis avec les sorcières. Alors une star impliquée dans un accident dont les victimes sont en "urgence absolue", pour reprendre un pléonasme journalistique, quelle aubaine pour les plumitifs toujours avides de sensation.

Dans quel état se trouve Pierre Palmade depuis l'accident ? Dans quel état de remords, de culpabilité, de regret profond de ne pas pouvoir réparer le mal qu’il a fait ? Et surtout dans quel état de conscience de se sentir haï après avoir été applaudi pendant tant d’années. Boycotté par son public, il n'est pas près de remonter sur scène, l'auteur des sketchs du scrabble et du colonel qui faisait la joie de l'émission La Classe dans les années 80, aux côtés de Jean-Marie Bigard, Chantal Ladesou, Muriel Montossey, Pierre Péchin, Timbre-poste, Pompon, Bézu et tant d'autres. Nul parmi ses pairs n’a pris le parti de l’artiste qui s’est détruit lui-même par sa dépendance préjudiciable. Aujourd’hui, son public le déteste, pire, les deux femmes qui lui doivent tout lui tournent le dos pour ne pas contrarier leurs admirateurs inféodés à la ligne médiatique. Puisse cette tragédie au moins l’aider à se sortir de son asservissement coupable. Hélas, quand on s’adonne à la came dévastatrice, on en devient esclave et on sombre dans une spirale infernale. La fin dramatique qu’on connait semblait presque inévitable. Il aura fallu qu’une famille paie le prix fort pour avoir été au mauvais endroit au mauvais moment. Au-delà des blessures et des larmes, le paysage audio-visuel français a perdu un humoriste car on ne se remet pas d'avoir été jeté en pâture à la vindicte populaire, surtout au terme d’un coup du sort fatal et surtout quand on se retrouve terriblement affaibli. Je ne vais pas pleurer sur le sort de Pierre Palmade, il a fait une connerie, il doit payer, mais jamais je ne rejoindrai la meute des individus à la pensée formatée qui dégueulent de haine parce que c’est la télé qui l'a dit.


Photo Pixabay

Dom's - 22 avril 2023 à 11:12

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