J'ai souvent écrit à propos des dérives de la grammaire et des fautes d'orthographes banalisées tant elles sont répandues à travers toutes les classes sociales, y compris dans le milieu journalistique, spécialisé en redondances et autres termes inventés. A ce déroutage grammatical et orthographique s'ajoute une manière d'écrire de plus en plus préoccupante. Je ne m'étendrai pas sur l'usage des smartphones et la rédaction des messages sans majuscules ni ponctuation, truffés de smileys, soumis à la frénésie des pouces. On peut admettre que ce style d'écriture est adapté au support, un SMS n'a pas besoin d'être respectueux du bon français. En revanche, nombreux sont ceux et celles qui sont incapables de tenir un crayon correctement, quand ça leur arrive. Un crayon, à plus forte raison un stylo, se tient entre le pouce et l'index qui agissent comme une pince serrant l'extrémité du crayon en contact avec le papier et soutenu par la dernière phalange du majeur qui vient se placer sous le bout des deux autres doigts. C'est la façon la plus courante de tenir un crayon, celle qui est théoriquement enseignée à l'école primaire. Or, il arrive fréquemment qu'une main tienne le crayon entre l'index et le majeur ou adopte une autre tenue déplorable qui manque passablement d'élégance. De même qu'on ne tient pas une fourchette ou une cuillère en l'empoignant (quelle horreur), on ne tient pas un crayon n'importe comment. Ecrire est un geste noble, quel que soit le contenu, ce geste ne saurait souffrir d'une désinvolture dans la tenue de l'outil, le crayon, qui pourrait être, pour le poète, le prolongement de l'esprit.
Trois choses sont préjudiciables à l'écriture. Les fautes, la tenue du crayon et la mauvaise écriture qui, parfois est illisible, tant les lettres sont mal formées, comme c'est le cas chez les notables et surtout chez les médecins. Pourquoi les médecins écrivent-ils aussi mal ? Ils ne font pas de fautes, ils savent tenir un crayon convenablement mais leur écriture est épouvantable au point que le pharmacien ne lit pas une ordonnance, il la décrypte. Ce n'est pourtant pas difficile d'écrire correctement. Si mal tenir un crayon est un manque l'élégance, mal écrire est un manque de respect qui traduit soit une incapacité à bien former les lettres, soit, plus
vraisemblablement, un hermétisme volontaire réservé à l'oeil exercé, laissant sur la touche le patient, considéré comme un néophyte. Le savant se doit d'écrire comme un cochon, cela fait partie du mythe. Si ce savant tient son crayon entre l'index et le majeur, le mythe n'en est que plus obscur. Et si, en plus, le savant fait des fautes, imbu de suffisance et de certitudes, il démontre indirectement que les fautes n'entâchent pas son immense savoir et qu'il lui est inutile de consulter un dictionnaire.
Heureusement, il existe d'innombrables mains qui savent tenir un crayon avec élégance : il existe d'innombrables esprits, autant masculins que féminins, qui écrivent des choses admirables sans faire d'énormes fautes d'orthographe, d'accord ou de syntaxe ; il existe d'innombrables pages dont l'écriture manuelle, pleine et déliée, traduit le fruit d'un enseignement appliqué. Ces maîtres de l'écriture à la main sont les ambassadeurs de Molière, ils perpétuent le français avec dignité, naturellement, modestement, sans tapage et souvent sans considération. Ceux et celles qui écrivent lisiblement sont respectueux des convenances, ils ont la majesté et l'élégance du calligraphe. La noblesse de leur style contraste admirablement avec les écritures médiocres qui se répandent de plus en plus au fil des commentaires approximatifs qui pullulent sur la toile. La seule écriture manuelle qui se puisse tolérer est celle qui obéit à la trilogie du zéro faute, une écriture soignée et une tenue correcte du crayon. Elémentaire, mon cher Watson.
(Photo Pixabay)